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Coordination des droits suisse et français en matière de mandat de protection future : 1ère application de la Convention de La Haye sur la protection juridique des majeurs (Civ., 1ère, 27 janvier 2021, pourvoi n° 19-15.059)

Le mandat de protection future est un contrat permettant à toute personne capable juridiquement d’en désigner une autre chargée de la représenter et de l’assister quand elle ne sera plus en possession de ses facultés physiques et/ou mentales et que cet état sera constaté par un médecin inscrit sur une liste d’experts agréés. Le droit français a introduit le mandat de protection future dans le code civil aux articles 477 et suivants.

Le droit suisse prévoit également une telle protection : l’article 360 du code civil suisse dispose en effet que… « toute personne ayant l’exercice de ses droits civils peut charger une personne physique ou morale de lui fournir une assistance personnelle de gérer son patrimoine ou de la représenter dans les rapports juridiques avec les tiers au cas où elle deviendrait incapable de discernement ».

La question du mandat de protection future en droit international a longtemps été débattue. La Convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes a ainsi mis plusieurs années avant d’être signée et ratifiée par le nombre de pays suffisant pour qu’elle entre en vigueur. C’est chose faite aujourd’hui. Elle a été ratifiée par la Suisse en 2009 et par la France aux termes de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. La France a ainsi été le 3ème Etat à ratifier la convention, après l’Allemagne et le Royaume-Uni (l’Ecosse). Ce texte règle donc notamment la question de la loi applicable au mandat de protection future en cas de situation d’extranéité.

A cet égard, l’article 15 dispose que la loi applicable à « l’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d’état de pourvoir à ses intérêts », est la loi de la résidence habituelle du mandant au moment de la conclusion du contrat.

Et l’article 15 § 2 dispose qu’il est possible de désigner à l’avance la loi applicable au mandat, qui peut être :

« a) la loi d’un Etat dont l’adulte possède la nationalité ;

b) la loi de l’Etat d’une résidence habituelle précédente de l’adulte ;

c) la loi d’un Etat dans lequel sont situés des biens de l’adulte, pour ce qui concerne ces biens.

Les modalités d’exercice de ces pouvoirs de représentation sont régies par la loi de l’Etat où ils sont exercés ».

Dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 janvier 2021 (publié au Bulletin de la Cour), la première chambre civile se prononce pour la première fois sur la Convention de La Haye sur la protection des majeurs. En l’espèce, une mandante résidant habituellement en Suisse avait établi un mandat de protection future désignant un de ses fils comme mandataire. Le mandat, soumis au droit suisse était ainsi libellé : « si je perds mes facultés mentales et, en particulier ne suis plus capable de faire part de mes intentions et de gérer mes affaires personnelles, juridiques et économiques moi-même, je déclare que la personne désignée ci-dessous doit agir en qualité de mandataire pour prendre ses dispositions de protection pour moi et en mon nom en application de l’article 360 du code civil suisse ». Par la suite, la mandante établit sa résidence habituelle en France. Son fils déclencha le mandat et le fit viser par le greffier du tribunal d’instance. En application de l’article 1258 du code de procédure civile français en effet, le greffier du tribunal est compétent pour recevoir une copie (originale ou authentique) du mandat, apportée par le mandataire en personne avec un certificat médical et le justificatif de résidence du mandataire dans le ressort du tribunal. Le greffier vérifie que les modalités de contrôle des activités du mandataire sont prévues formellement (C. proc. Civ. Art 1258-2), puis il paraphe et vise le mandat qui prend effet à compter de la date de présentation au greffe (C. proc. Civ., art. 1258-3).

Un autre fils de la mandataire contesta cette désignation ainsi que le mandat lui-même. En effet, il soutenait que le mandat litigieux ne comportait aucune modalité de contrôle des pouvoirs du mandataire, mis à part un renvoi à l’article 360 du code civil suisse. Ce défaut de précision aurait dû, selon lui, conduire le greffier à refuser d’apposer son visa. La cour d‘appel fut convaincue par cet argumentation et déclara nul le visa du greffier sur le mandat de protection future.

Cet arrêt est cassé aux visas des articles 15 et 16 de la Convention de La Haye sur la protection juridique des adultes. La Cour de cassation opère en effet une distinction, fondamentale mais peut-être pas toujours évidente à réaliser en pratique, sur l’existence des pouvoirs du mandataire, qui relève de la loi applicable au mandat, et leurs modalités d’exercice, qui elles sont soumises à la loi du pays dans lequel entre en vigueur et s’exerce le mandat :

  • Pour la Cour de cassation, la loi suisse était donc applicable au mandat de protection future puisque la mandante l’avait désignée. Dans ces conditions, la validité du contrôle des pouvoirs du mandataire, qui concerne « l’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte » tels que prévus par la Convention de La Haye, devait être appréciée au regard du droit suisse et pas du droit français.
  • Seule la mise en œuvre des pouvoirs ainsi conférés était soumise au droit français, pays de résidence habituelle de la mandante.
  • En se référant au droit français, et plus précisément à l’article 1258 et s. du code de procédure civile, pour exiger qu’existe dans le mandat un contrôle formel des pouvoirs du mandataire, la cour d’appel avait ajouté à la loi suisse une condition qu’elle ne comportait pas. D’où la censure.

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